violence?

MISSION D'APPUI ARTISTIQUE : UN RÉCIT

 En 2016, Le Pôle Enfance de l'IME de Cambrai choisit de s'engager dans un projet d'établissement, essentiellement financé par le programme interministériel « Culture Santé ». Pour ce faire, le Pôle Enfance sélectionne la candidature de deux artistes, qu'il interpelle sur la question de la violence.

 

Extrait du courrier de candidature de Pascaline Verrier et Marie Bouts :

Le cahier des charges que vous avez rédigé nous a interpellées : on ne convoque pas si souvent les artistes sur le thème de la violence en institution. À travers cette proposition, nous imaginons que vous êtes face à une question d'ampleur, quotidienne et cruciale. Il nous semble évident que deux artistes ne pourront pas, seules, remplir l'ensemble des points dont vous avez fait la liste. De cette limitation, nous concluons que notre présence pourrait servir de catalyseur, de moteur, en lien fort avec une équipe déjà engagée sur la question, qui saura, autant que nous, mettre en commun des connaissances et des savoir-faire : il s'agit bien de fabriquer ensemble une durée, un espace d'expérimentation où chacun sera engagé dans les questions que vous soulevez.

 

Extrait de la convention de partenariat entre le Pôle Enfance et les artistes :

Pour l'artiste-résidente, il s'agit de s'engager dans une démarche de démocratisation culturelle donnant à voir et à comprendre la recherche artistique qui l'anime, ainsi que les processus de création qu'il met en œuvre (réflexions, expérimentations, réalisations). Il n'y a ni enjeu de production, ni commande d’œuvre. La résidence mission s'appuie sur des formes d'intervention ou d'action très variées, différenciant toutefois des traditionnels ateliers de pratique artistique régis par un tout autre cahier des charges et aux finalités différentes.

 

S'IMMERGER DANS LE QUOTIDIEN DU PÔLE ENFANCE + PARTAGER NOTRE PRATIQUE ARTISTIQUE + ÉCOUTER CE QUE LES JEUNES ET LES PROFESSIONNELS ONT À DIRE AU SUJET DE LA VIOLENCE + FAIRE DES PROPOSITIONS ARTISTIQUES = RENCONTRE  ?

 

DU 19 AU 23 SEPTEMBRE : IMMERSION

Nous ne connaissions rien de votre quotidien. Pour aller à votre rencontre et pour comprendre vos manières de faire, nous avons passé une première semaine dans les groupes et dans les ateliers, à Cambrai et à Crèvecœur. Pour nous, il s'agissait alors d'être simplement présentes avec vous, avec les enfants et avec les jeunes.

 

DU 26 SEPTEMBRE AU 7 OCTOBRE : PARTAGE

Après ce premier temps d'observation - après avoir vu et entendu et ressenti - nous avons souhaité, à notre tour, donner à voir, à entendre et à ressentir en partageant nos pratiques de la danse et des arts plastiques.

Dans un premier temps, Pascaline a dansé avec le dernier costume qu'elle a porté dans son spectacle pour enfants Inulik. Dans un second temps, Marie a lu les livres qu'elle a publiés à partir d'entretiens menés en Haute-Marne (dans un village) et dans les Vosges (en institution), avec des habitants. Pascaline a dansé sur ces textes.

Cette seconde proposition étaient essentiellement destinée aux professionnels du Pôle Enfance.

Puis, nous avons choisi d'improviser : Marie écrivait des textes en direct, à l'oral, pendant que Pascaline dansait. Les jeunes se sont parfois associés à nos propositions, soit par la danse, soit en prenant le micro pour improviser à leur tour.

 

DU 3 AU 11 OCTOBRE : ÉCOUTE

C'est donc de la violence que nous devions parler.

Mais de cette violence, dans le contexte de l'IME, nous ne savions rien. Il nous a semblé fondamental de partir de votre vécu à vous, de ce que vous, professionnels, aviez à en dire.

Nous avons donc décidé de mener une série d'entretiens ouverts, pour évoquer cette question. Nous avons sollicité les chefs de service pour qu'ils vous permettent de consacrer un peu de votre temps de travail à parler avec nous, ne serait-ce qu'une dizaine de minutes.

Il faisait très beau, la vigne vierge était rouge vif et les arbres chargés de fruits. Nous nous sommes installées au verger : les jeunes horticulteurs avaient tondu pour nous un chemin dans l'herbe. Nous avons apporté une table, quelques chaises et une nappe blanche en plastique sur laquelle nous avons retranscrit tous les entretiens.

13 personnes sont venues nous rencontrer.

 

17 ET 18 OCTOBRE : UNE PROPOSITION POUR L'ÉCOLE INCLUSIVE

Afin d'engager le dialogue avec les jeunes, nous avons sollicité trois enseignants et deux éducatrices de l'école inclusive, qui nous ont accordé de l'espace et du temps.

Nous avons apporté le film d'un spectacle de Krump : Éloge du Puissant Royaume, de la Compagnie Heddy Maalem. Le Krump est né dans le ghetto de Los Angeles autour des années 1990. Les danseurs cherchent à y exprimer leur liberté. De leur grande palette d'expression se dégage parfois une forme de violence : ils dansent jusqu'à la déformation (grimace, torsion des corps, comme possédés) sur des rythmes qui viennent cogner le cœur et les tripes.

Partant du Krump, voici ce que nous avons proposé aux jeunes :

- Parler ensemble de ce qui leur fait violence et de ce que cette violence peut provoquer dans le corps comme sensations (nous avons retranscrit les discussions sur une nappe)

- Partant des sensations nommées, tenter de les danser

- Aborder le modelage de ce qui nous fait violence par la représentation de monstres d'argile.


24 ET 26 OCTOBRE : CO-CONSTRUCTION AVEC LE SESSAD

Francis Bernard souhaitait travailler, avec un groupe de jeunes, sur le basculement, ce moment où les enfants, les jeunes, reçoivent leur notification MDPH.

Avec Francis Bernard et Julie Walle, nous avons inventé un voyage :

- Dans un premier temps, nous avons dessiné, au sol (au scotch blanc), un labyrinthe dans le gymnase.- Dans ce labyrinthe, nous avons proposé à Samuel, Léa, Alexandre, Ryan, Théo et Cédric de dessiner leurs maisons d'origine.- Puis, avec des propositions de mise en mouvement, nous avons voyagé tous ensemble dans notre labyrinthe, en nous arrêtant de temps en temps pour parler.

Nous avons entendu des mots importants.

 

27 ET 28 OCTOBRE : UNE PROPOSITION POUR L'INTERNAT

Notre histoire avec l'internat est l'histoire d'une rencontre manquée.Si nous avons pu rencontrer, à l'IME ou en apprentissage, à l'école inclusive ou chez les Tempo, bon nombre des internes, nous ne sommes jamais parvenues à nous saisir de ce temps du soir, du mercredi, du week-end, des vacances.

Le jour où nous sommes arrivées à l'internat avec une proposition questionnant la notion de tenségrité, personne, dans un premier temps, ne voulait travailler avec nous. Après une longue (et belle) discussion avec l'éducateur et avec les jeunes (qui ont pu raconter à ce moment ce qu'ils avaient déjà vécu avec nous), certains ont tout de même souhaité venir passer deux petites heures à danser et à modeler.

 

3 NOVEMBRE : UNE PROPOSITION POUR LA RÉUNION DE RENTRÉE

Monsieur le directeur nous a proposé un créneau dans l'ordre du jour pour faire un point sur notre résidence, à la réunion de rentrée. Notre mode d'expression et notre mission au sein du Pôle Enfance sont artistiques : nous avons donc choisi de prendre la parole avec notre art.

David, l'éducateur spécialisé à l'horticulture, nous parlait souvent du verger (qui risque d'être détruit lors des travaux à venir), des arbres cinquantenaires, des oiseaux qui y vivent. Nous lui avons proposé d'enregistrer avec lui une visite guidée de cet endroit. Après montage, la promenade audio durait un quart d'heure.

Pour faire cette promenade, nous vous avons proposé d'expérimenter une situation corporelle particulière : en duo, l'un ferme les yeux et l'autre guide.

S'en remettre à l'autre pour avancer : voilà une situation que vous vivez chaque jour, en tant qu'éducateurs.

Fermer les yeux et visiter dans sa mémoire un endroit que l'on connait : ce que l'on voit tous les jours apparaît comme éclairé par un soleil nouveau.

 

8,9 ET 10 NOVEMBRE : UNE PROPOSITION QUI MÉLANGE LES GROUPES

Nous avons proposé aux éducateurs de les recevoir dans notre pièce (l'ancienne salle de classe) en compagnie de cinq ou six jeunes et enfants de groupes différents. Nous avons reçu des koalas, des dauphins, des goélands, des hippocampes, des H20, des tempo.

Le voyage que nous avons proposé, entre mise en mouvement et modelage d'argile, suivait l'évolution des stades de développement du vivant :

FEUILLETS EMBRYOLOGIQUES

- Modeler un caillou, une galette, une crêpe

- Se rassembler au sol comme une graine prête à éclore Se sentir comme un caillou qui respire NOTOCHORDE

- Modeler une colonne ou un ver de terre

- Sentir sa colonne, respirer au contact d'une autre colonne
- Se prendre pour un lombric

HOMOLOGUE
- Modeler une grenouille, sauter comme une grenouille

Puis, nous avons proposé de sentir le poids et le contrepoids, l'équilibre et le déséquilibre en modelant des mobiles (bois + argile) et en dansant avec des bâtons ou avec une membrane de tissu élastique.

 

9, 22, 23 ET 24 NOVEMBRE : DES MOMENTS POUR SE PARLER

Après les vacances de Toussaint, nous avons commencé à comprendre que l'on ne se comprenait pas vraiment. Les cadres nous ont proposé de participer à vos réunions d'équipes. Les discussions nous ont permis, avec vous, de soulever des questions. Voici ce que nous avons entendu :

- Le début d'année n'est pas le meilleur moment pour accueillir des artistes : nous sommes occupés à poser le cadre avec les enfants.

- Nous croyions que vous étiez deux dames de l'ARS.

- Votre travail a parfois provoqué de fortes émotions chez les enfants et chez les jeunes, nous avons parfois dû les consoler.

- Nous avons manqué de liens pour comprendre ce que vous veniez faire ici.
- Peut-être que ce mot « violence » a mis une barrière entre vous et nous ?

 

DU 22 AU 25 NOVEMBRE : DANS LE GYMNASE, POUR TOUS

Guillaume et Ameur nous ont prêté le gymnase pendant une semaine.

Avant de vous rencontrer, nous avions rêvé (entre autres) de concevoir avec vous un carnaval. Historiquement, le carnaval a un rôle social de maintien des équilibres pour favoriser la paix. Il permet, par le déguisement, de canaliser pour un temps l'inversion des valeurs et d'exprimer, dans une durée et un espace donné (dans un cadre), ce qui est d'habitude tabou.

Avec les jeunes adultes ou adolescents, nous nous sommes parfois heurtées aux complexes qu'ils ressentent et qui les empêchent de se mettre librement en mouvement. Aussi avons-nous tendu un drap blanc, posé deux spots lumineux et fabriqué des appendices de carton pour tenter d'accéder à une autre expression de soi par les ombres chinoises.

L'ombre chinoise, c'est du dessin et de la danse à la fois.

 

FIN = DÉBUT?

Nous aurions aimé co-construire avec vous, les professionnels du Pôle Enfance.

Co-construire : Partir de vos savoir-faire, de vos connaissances, de vos interrogations et ajouter les nôtres pour inventer ensemble des formes, des temps, des espaces qui se seraient situés à mi-chemin de l'art, de l'éducatif, du soin.

Au final, notre séjour nous renvoie à cette question :

Quelle est la place de l'art dans notre société ?

Les artistes sont-ils légitimes uniquement dans les espaces dédiés (musées, galeries, théâtres, opéras) ? Ou bien ont-ils un rôle à jouer au cœur de la société ?

Au moment où l'on se spécialise, où l'on se cloisonne, où l'on se protocole, cherchons à mélanger les cuisines.


IME Les papillons Blancs, Cambrai - 2017
Mission d'Appui Artistique, programme Culture Santé, DRAC et ARS HDF